Publié par : anglepi | mars 9, 2012

Le Mash-Up à l’épreuve du Droit.

Nicolas LE PAYS DU TEILLEUL étudiant au CEIPI nous « offre » ce très beau post. Un peu plus élaboré que nos « simples » billets précédents mais très simple à lire je vous rassure.
N’hésitez pas à commenter, discuter, twitter, facebooker (si, ça existe ! ).

La propriété intellectuelle est définie par le Professeur REBOUL comme «l’ensemble des règles de droit qui ont pour objet de protéger les fruits de l’activité intellectuelle; les créations et les signes distinctifs». Le Professeur DESBOIS quant à lui, précise que «les idées sont de libres parcours».

Effectuer la synthèse des enseignements de ces éminents spécialistes du droit de la propriété intellectuelle revient à dire que cette matière s’applique lorsque une idée est extériorisée, concrétisée.

Il en va ainsi du droit d’auteur français, dont la naissance au profit de l’auteur intervient «du seul fait de la création» (1).

Né au XVIIIème siècle sous l’influence notable de BEAUMARCHAIS puis des révolutionnaires, le droit d’auteur avait pour but initial la protection des créateurs de pièces de théâtre, dont la popularité autant que les droits étaient éclipsés par les comédiens.

Ainsi, une création originale, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur rend ce dernier titulaire de deux types de droits (2). Les droits patrimoniaux qui comprennent le droit de reproduction et de représentation. Les droits moraux sont constitués quant à eux du droit de suite, du droit de divulgation, du droit de paternité, et du droit au respect de l’intégrité de l’oeuvre. Une majeure partie de la doctrine française considère qu’il s’agit respectivement de droits de propriété d’une part et de droits de la personnalité d’autre part.

Le Mash-Up ou bootleg est une expression anglo-saxonne héritée du temps de la Prohibition, désignant un phénomène né dans le dernier tiers du XXème siècle, consistant à créer une oeuvre artistique à partir de fragments d’autres oeuvres préexistantes. Le Bulletin officiel de la République Française du 25 novembre 2010, définit le Mash-Up, ou collage, comme la «composition faite d’éléments hétérogènes, qui constitue une oeuvre originale», ou encore comme «un assemblage, au moyen d’outils numériques, d’éléments visuels ou sonores provenant de différentes sources.»

I- Mash-Ups et «droits d’auteur».

Le droit Français aborde la question des Mash-Up’s sous deux aspects différents, qui s’orientent autour de l’accord donné par l’auteur de l’oeuvre initiale à l’utilisation de celle-ci dans l’oeuvre bootleg.

A- L’accord de l’auteur, condition sine qua non à la création de Mash-Ups.

Dans l’affirmative, il faut encore faire une distinction entre les oeuvres plurales «classiques», et les oeuvres relevant du domaine des licences libres.

1) Les oeuvres collectives classiques.

Le Code de la Propriété intellectuelle, dans son article L113-2 définit trois types d’oeuvres (3) qui partagent une égale pluralité d’auteurs. L’oeuvre dérivée est la seule adaptée à la pratique du Mash-Up, puisqu’elle «incorpore une oeuvre préexistante, sans la collaboration de l’auteur de cette dernière». L’article L113-4 du même Code prévoit qu’elle «est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’oeuvre préexistante».

2) Les licences libres.

Les licences libres permettent à un titulaire de droits d’auteur de concéder tout ou partie de ceux-ci à des tiers, afin de leur permettre l’exploitation, la modification et/ou la diffusion de l’oeuvre initiale.

L’auteur originaire peut choisir l’intensité qu’il veut donner à cette concession de l’intégralité de ses droits patrimoniaux, en recourant éventuellement au système dit du «copyleft». Par opposition au copyright, ce procédé permet notamment à l’auteur d’encadrer l’utilisation future de son oeuvre, en imposant le recours systématique à la même licence lors des concessions futures.

Il convient de noter que les licences libres restent soumises aux dispositions légales en vigueur dans les pays concernés. En France toute concession du droit moral de l’auteur serait évidemment frappée de nullité, l’article L121-1 du Code de la Propriété intellectuelle prévoyant son caractère «perpétuel, inaliénable et imprescriptible».

Ainsi, la spécificité de telles licences résulte dans leur utilisation simple, facilitée par une mutualisation des moyens, au service le plus souvent d’une vision politique et démocratique de l’internet. La célèbre organisation à but non lucratif ‘Creative Commons’, se propose ainsi de développer de nombreuses licences-types, à l’usage des utilisateurs et des auteurs désireux d’une alternative légale au droits d’auteurs. Il semble donc qu’une telle position soit tout à fait à propos, permettant la diffusion des oeuvres, et par suite la création artistique, au premier rang de laquelle l’on peut faire figurer les Mash-Ups.

Le Centre d’études et de recherches de science administrative (CERSA), centre de recherche dépendant du CNRS, a initié le «libre» en France à partir de 2004, en apportant son soutien aux contrats ‘Creative Commons’.

B- Le Mash-Up, un moyen de contrefaçon?

En dehors de ces deux cas, toute autre utilisation d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur dans un Mash-Up constitue une contrefaçon. Le Professeur POLLAUD-DULIAN définit cette dernière comme «tout atteinte, sous quelque forme que ce soit, à un droit privatif sur un bien immatériel» (4). L’article L335-3 du Code de la Propriété intellectuelle réprime pénalement le délit de contrefaçon, constitué par «toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur».

Un Mash-Up contrefaisant porte essentiellement atteinte aux droits de reproduction, de représentation, ou encore à ceux protégeant l’intégrité et la paternité de l’oeuvre.

Il convient de nuancer les propos tenus ci-avant, en évoquant les exceptions aux droits d’auteur, énoncées dans la directive n°2001/29/CE (5) , transposées à l’article L122-5 du Code de la Propriété intellectuelle. Ces textes donnent la possibilité aux consommateurs d’utiliser sans autorisation de leur auteur, une oeuvre protégée.

Outre le fait que l’oeuvre doit déjà avoir été divulguée, l’utilisation projetée doit satisfaire au «triple test», ensemble de conditions prévues initialement par la Convention de Berne (6), puis repris par les accords ADPIC (7), par le Traité OMPI du 20 décembre 1996, et par la directive communautaire du 22 mai 2001 (8). Ainsi, et cumulativement, l’usage doit relever de l’une des exceptions de l’article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, ni ne doit causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

La seule exception de parodie semble pouvoir s’adapter aux Mash-Up’s; il convient d’écarter l’exception pour courte citation, celle-ci devant présenter un caractère didactique, ce qui semble peu adapté au contexte ludique et artistique dans lequel évolue le Mash-Up.

La jurisprudence pose trois conditions cumulatives pour l’application de l’exception de parodie: l’oeuvre nouvelle doit avoir une «intention et un effet humoristique (9)», ne pas «créer de risque de confusion avec l’oeuvre parodiée (10)», et ne peut prétendre à «une reproduction intégrale ou quasi intégrale (11)» de l’oeuvre originale.

Quant au droit moral de l’auteur de l’oeuvre intégré au Mash-Up,il semble qu’il ne puisse être invoqué qu’en cas d’abus de l’exception de parodie. Maître Pierre VIVANT estime que « nous ne sommes donc pas dans un cas où il a été décidé que l’atteinte au droit moral était permise, nous sommes dans un cas où il a été décidé (où il est admis a priori) que (…) la parodie faite ne constituerait pas une atteinte au droit moral (12)».

Ainsi, il apparaît qu’un Mash-Up à visée humoristique puisse donc être réalisé sans le consentement des auteurs des oeuvres initiales.

Extrait d’une affiche publicitaire pour Mc Donald’s, constituant un Mash-Up.Reproduction en vertu de l’exception de courte citation, prévue article L122-5 du Code de la Propriété intellectuelle.

II- Mash-Ups et droit de la personnalité.

A- Le principe du respect de la vie privée.

L’article 9 du Code civil protège les droits de la personnalité, et plus spécifiquement le droit à l’image: «Chacun a droit au respect de sa vie privée.» Les Mash-Ups composés par des images sont donc soumis à cet article, et porteraient atteinte à la vie privée d’une personne par la représentation non autorisée de son image.

B- Les exceptions favorisant la liberté d’information, dans le respect de la dignité.

Deux exceptions existent, afin de permettre la liberté d’information du public. Ainsi, les photos relatives aux faits d’actualité, aux personnes publiques dans l’exercice de leurs fonctions, et celles assurant la couverture médiatique d’événements publics, où les personnes sont difficilement identifiables, ne portent pas atteinte à la vie privée desdites personnes.

Cependant, en application de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et sur le fondement de l’article 16 du Code civil, toute atteinte à la dignité humaine par le moyen d’une photographie est réprimé. Un célèbre arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 décembre 2000 avait interdit la diffusion de la photo de la dépouille mortelle du Préfet Erignac (13).

Cela permet de conclure, avec les juges du Tribunal de Grande instance de Paris, qu’en matière photographique, «la créativité du photographe et la liberté d’expression de l’artiste n’ont pour limite que le respect de la dignité de la personne représentée ou les conséquences d’une particulière gravité qu’entraîneraient la publication des clichés pour le sujet (14)».

Afin de poursuivre cette étude, il pourrait être intéressant d’étudier le Mash-Up sous l’angle du droit des biens, à la suite d’éminents auteurs tels Pierre-Yves GAUTIER (15) ou Christel SIMLER (16). Leurs travaux permettent une meilleure appréhension du Mash-Up, notamment en ce qui concerne l’exercice du droit de propriété de l’auteur du bootleg. Celui-ci, en tant que propriétaire d’un bien meuble principal, auquel est incorporé une autre oeuvre en tant qu’accessoire, voit ses prérogatives étendues par rapport aux dispositions classiques de la Propriété littéraire et artistique. Ainsi, à l’expiration des droits cédés pour les oeuvres intégrées au Mash-Up, le créateur de ce dernier en demeure propriétaire, par accession…

Nicolas LE PAYS DU TEILLEUL – Master 2 Propriété Intellectuelle et Commerce –  CEIPI

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(1)  Code de la Propriété intellectuelle, article L111-1: «L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial».

(2) Cf. supra, note 1.

(3) Code de la propriété intellectuelle, art. L113-2: «Est dite de collaboration l’oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. Est dite composite l’oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. Est dite collective l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.»

(4) F. POLLAUD-DULIAN, Droit d’auteur, p. 718, éd. Economica, 2005.

(5) DIRECTIVE 2001/29/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, article 5.

(6) Convention de Berne, art. 9.2: «1) Les auteurs d’oeuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention jouissent du droit exclusif d’autoriser la reproduction de ces oeuvres, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit.

2- Est réservée aux législations des pays de l’Union la faculté de permettre la reproduction desditesoeuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

3- Tout enregistrement sonore ou visuel est considéré comme une reproduction au sens de la présente Convention.»

(7) ADPIC, art. 13: «Les Membres restreindront les limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit.».

(8) DIRECTIVE 2001/29/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, article 5, par. 5: «Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit».

(9) Paris, 17 octobre 1980: D. 1982, somm. comm. 42, obs. Colombet

(10) Paris, 14 février 1980: Dalloz 1981, somm. comm. 86, obs. Colombet

(11) Paris, 4è ch., 27 nov. 1990: D. 1991, inf. rap. p.35

(12) P. VIVANT, Revue Lamy du Droit de l’Immatériel, fév. 2006, n° 392, p. 59

(13) Cass. 1ère civ., 20 déc. 2000, Bull. civ. I, n°341

(14) TGI Paris, 25 juin 2007

(15) P.-Y. GAUTIER, L’accession mobilière en matière d’oeuvre de l’esprit: vers une nouvelle querelle des Proculéiens et des Sabiniens, Dalloz 1988, Chronique XXIII, p. 152.

(16)C. SIMLER, Droit d’auteur et droit commun des biens, Collections du CEIPI, n° 55, 2008, p.237


Réponses

  1. […] Le Pays du Teilleul   qui était déjà intervenu sur ce blog pour un article sur le mash-up  avait lui aussi participé à ce concours. Il nous propose donc sa vision du sujet. Le sujet du […]

  2. […] En ce moment, prononcez le mot “exception” et vous provoquerez un tollé unanime de la part des titulaires de droits (dernier en date, le Syndicat National de l’Édition au Salon du Livre, qui a vigoureusement rejeté ce type de réformes).  Pourtant, d’autres pays montrent tout le bénéfice que l’on pourrait tirer d’une ouverture plus grande des exceptions. Le Canada par exemple, est actuellement sur le point de réformer sa Loi sur le droit d’auteur, après des années de débats très tumultueux. Le texte, s’il comprend des points très négatifs, comme la consécration des DRM, explore aussi des voies inédites qui pourraient s’avérer très intéressantes, comme l’introduction d’une exception en faveur du remix. Une telle exception tient en quelques lignes, mais elle permettrait de « pacifier » efficacement des pratiques créatives comme le mashup ou le remix, étouffées,  stigmatisées et fragilisées dans le cadre juridique actuel. […]

  3. […] En ce moment, prononcez le mot “exception” et vous provoquerez un tollé unanime de la part des titulaires de droits (dernier en date, le Syndicat National de l’Edition au moment du Salon du Livre, qui a vigoureusement rejeté ce type de réformes).  Pourtant, d’autres pays montrent tout le bénéfice que l’on pourrait tirer d’une ouverture plus grande des exceptions. Le Canada par exemple est actuellement sur le point de réformer sa Loi sur le droit d’auteur, après des années de débats très tumultueux. Le texte, s’il comprend des points très négatifs, comme la consécration des DRM, explore aussi des voies inédites qui pourraient s’avérer très intéressantes, comme par exemple l’introduction d’une exception en faveur du remix. Une telle exception tient en quelques lignes, mais elle permettrait de « pacifier » efficacement des pratiques créatives comme le mashup ou le remix, étouffées,  stigmatisées et fragilisées dans le cadre juridique actuel. […]

  4. […] https://anglepi.wordpress.com/2012/03/09/le-mash-up-a-lepreuve-du-droit/ […]


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